Carnet de route
Un grand merci à tous ceux qui nous sont suivis de près ou de loin tout au long de cette route.
11ème et dernière étape: de Château l'Abbaye à Mortagne du Nord
C'est l'histoire du lièvre et de la tortue.
Le lièvre, c'est nous. La tortue, le rendez-vous à 15h30 à l'embouchure de la Scarpe-Escaut.
Très sûr de lui, le lièvre a trop de temps. Deux kilomètres, 30 minutes de pagaie. Il commande un café au café de la place de la mairie - discute chien au café - entend parler foot et tiercé - salue - est salué - reprend un café. Puis visite l'expo "Circulez, y'a rien à voir" - aime le rien - le trouve joyeux et créatif. Puis part se promener entre prairies et forêt de la poterie - entre coquelicots et chien hurlant - entre vaches et clocher. Puis se dit que la tortue l'attend peut-être - prend son équipement - se dirige vers le départ - traverse la ville - le pont au-dessus de l'eau - tourne à gauche - longe l'eau par le chemin de halage vers le départ sur la Scarpe en face de Château l'abbaye - est intimidé par la largeur de l'eau à l'embouchure - marche vers le départ - marche - marche. Au bout de 30 minutes se dit que c'est long pour 2 kilomètres - qu'il devrait déjà y être - s'inquiète - marche encore - se dit qu'il pourrait se géolocaliser - prend son portable - se demande si le GPS fonctionne qui le situe le long de l'Escaut - redemande la localisation - puis réalise… Réalise qu'il s'est trompé, de pont, d'eau. Est le long de l'Escaut et non de la Scarpe. Se donne des noms d'oiseau - rit jaune - et fait demi-tour. Il court - court - équipement sur le dos - rebrousse tout le chemin - court - court pour rejoindre la ville - la Scarpe - la remonte un peu - 1 kilomètre peut-être - cherche où y descendre - gonfle son navire - pagaie - pagaie - pagaie - frustré du kilomètre volé - et arrive triomphant quelques minutes après la tortue - Rien est là - Rien l'ovationne - Rien est rouge - Rien l'attendait.
La morale de cette histoire est que Rien ne sert de courir, mieux vaut en rire.
Fin du périple.
10ème étape: de Saint Amand les Eaux à Château l'Abbaye
9ème étape: de Hasnon à Saint Amand les Eaux
7h40 appel d'Amandine, enseignante au Collège ND des Anges à St Amand les Eaux. Le ciel et noir. La pluie commence à tomber. Que fait-on? Se donner 45 minutes pour décider... Entretemps, nous passons prendre des croissants et déposer, comme chaque jour, le vélo à l'arrivée de l'étape du jour. 45 minutes plus tard, le radar pluie annonce un temps sec jusque 10h30 au moins. On tente le coup!
On se retrouve donc à 9h15 en bord de Scarpe près du Boulodrome de St Amand les Eaux avec les 5èmes marine et orange. Echange de poèmes. Choeur de lecteurs. Et puis, on plie des bateaux. Origamis blancs et bleu azur. Navires poétiques déposés en fil de Scarpe.
A nous ensuite de partir au fil, vent dans le dos.
Aujourd'hui,
plonger pousser tourner
les pagaies dansent
et moi je glisse.
De ce côté de la rive,
le vert est à son comble
et déborde comme un ventre
au-dessus de l'eau
tantôt ridée
tantôt miroir du ciel.
Le fil est argent
le fond sans soupçon
rien ne perce
si ce n'est la pagaie
jaune.
Par dessus les saules
le héron qui passe
et distrait le haut échange
entre feuillages et nuages.
Par dessous les saules
couve l'oie
qui me regarde passer
ride éphémère.
8 ou 9 ans. Visage d'ange sous son casque orange. 8 ou 9 ans friment sur une moto blanche, petite comme un jouet, bruyante et rapide comme une vraie. 8 ou 9 ans roulent sur une roue, roulent sans les mains, pétaradent.
Terrasse du café Le Castel à Château
Il ouvre dans une demi-heure nous dit un voisin depuis le pas de sa porte. Mais attendez, je vais lui demander.
Nous rêvons d'un petit blanc et d'une blanche.
Et le Monsieur d'ouvrir une demi-heure plus tôt et de déclarer "je jardinais". J'ouvre tous les jours alors de temps en temps je ferme. Et de s'installer pas loin de nous avec une cigarette. Son grand-père habitait Molenbeek. Sa mère est d'Anderlecht. Son père d'ici. Lui d'ici aussi. Sa tante tenait le café-épicerie d'à côté du temps où il y avait plus de cafés que de télés. On servait à boire pour se voir et se raconter. Le vendredi midi, il sert un plat du jour parce que les gens ont le temps le vendredi midi. Début juillet ce sera le moule frites puis la choucroute de la ducasse à la rentrée. Son café est café rando. Avant, il était sportif , son service il l'a fait aux para, aujourd'hui il réconforte les randonneurs qui préfèrent pourtant s'arrêter à l'autre café, celui de l'orée du bois, mieux situé sans doute. Nous, nous avons savouré la pause d'ici!
Partir sur la Scarpe
comme partir pour un long voyage.
Naviguer.
Prendre les flots à bras le corps.
Plonger la pagaie
pousser
tourner
plonger l'autre pagaie
pousser
tourner
prendre le rythme.
Les pieds devenus inutiles.
Sentir maintenant le chemin sous les fesses.
Elle est large la Scarpe
de part et d'autre des pagaies.
Canalisée
et sauvage.
croiser héron, foulque et poule d'eau.
Fendre l'eau.
Distraire un poisson.
Espérer passer sous un arbre à loques.
Se demander qu'y suspendre.
Quelle maladie, quel espoir
emmailloter dans un bout de tissu
à y nouer.
Peut-être ma condition terrestre
celle d'être sur l'eau
comme sur terre un canard
pataud
et disgracieux.
Ma pagaie plonge,
je crois pousser mais ne fait que tirer,
la pagaie tourne
et tout mon navire.
La Scarpe remplit ma jupe,
j'effraie le héron, la foulque rigole et la poule d'eau couve indifférente.
8ème étape: de Vicoigne à Cataine (Hasnon)
De la maison de quartier de Vicoigne, nous prenons à gauche le premier chemin en forêt.
Est-ce un chemin, est-ce une sente
une trace peut-être
qui très vite se perd
et nous perd dans les ronciers et massifs d'orties.
Retour donc sur la route
balisée tracée fréquentée
pour rejoindre la mer à Goriaux
rivage et plage boisée
la houle légère des vaguelettes
une foulque monte et descend avec la vague
du concert batracien.
Nous longeons la rive sud,
les barques abandonnées à l'eau croupie.
Passe une grande aigrette.
La forêt est brouhaha.
Ombre et lumière.
Elle bruit gazouille zwinne bourdonne crépite
murmure siffle frétille frémit
tremble alarme crie frappe tambourine
renifle gratte frotte grince.
Elle est ruche.
Qu'en dire?
Elle me rend muette
mais inspire le pouillot véloce.
Nous suivons des drèves
bordées de la dentelle des fougères
tressées de soies d'araignées
que notre passage rompt.
Savent-elle le compagnon rouge du vert qui le perd?
Nous arrivons à l'ancienne maison forestière de Cataine.
Brûleur à la main, bonbonne de gaz en équilibre, vêtu de l'habit de travail bleu,
il est sur une échelle.
Avant, il faisait des triathlons.
Aujourd'hui et depuis 7 ans il rénove la maison.
C'était une ruine, c'est une maison de standing, 30.000 briques ou 200.000 beaucoup
le dernier lot de briques lamour,
4 salles de bain, 5 chambres.
Sa soeur habite la maison nord, lui termine la maison sud, un futur gîte peut-être,
mettre des chevaux dans la prairie, une écurie sous la héronnière.
Sa soeur habite la maison nord depuis peu,
une maison au milieu des bois,
un rêve,
le long d'une petite route départementale,
qu'enfile chaque jour son cortège de semi-remorques,
un cauchemar.
7ème étape: le 7ème jour, il et nous nous sommes reposés
6ème étape: dans Raismes, de la maison de la forêt à celle du quartier Vicoigne
A l'étoile de la Princesse, Juliette et Clémentine nous attendent. Tenue forestière.
Le ciel est gris ce matin.
Le parking est plein de voitures qui attendent ceux qui marchent, courent, promènent leur chien.
5000 ha de forêt, de longues drèves, de sentes vagabondes, de fourrés, fosses, mares, étangs et terrils, le plus haut du Valenciennois.
La forêt d'ici ne ressemble pas à celle de chez nous.
Les arbres sont pourtant les mêmes.
Se connecter puis se déconnecter. Entendre puis écouter. La promenade sera sonore ce matin.
A l'heure méridienne, c'est par la forêt que nous rejoignons les gens de Vicoigne et d'abord leurs morts exilés entre les arbres.
Ici la grille est ouverte. Un cycliste s'arrête et remplit d'eau sa gourde.
Ici la gestion est différenciée. Ici les chiens sont interdits.
Rue Salengro, l'église évangélique est à louer et Jésus-Christ éternellement le même.
Rue Salengro, leur tête monte, oscille arrière avant, monte oscille arrière avant, monte oscille arrière avant
comme celle de ces chiens pendulaires de tableau de bord.
Nous buvons un café assis sur le rebord de la vitrine, devant un casse-vitesse.
A la maison de quartier, ils sont plus de 30 à déambuler entre les enceintes qui diffusent les histoires racontées par quelques anciens et enregistrées par quelques jeunes ados.
5ème étape: de Bellaing à Petit Paris à Raismes
A Bellaing, j'écris les mots du chemin sur les vitres de la médiathèque.
Nous quittons Bellaing par le chemin de Valenciennes.
A gauche, de jeunes maïs.
A droite, des jardins,
grillagés.
s'enfermer - se replier - s'enclore
se défendre - se protéger
Une région qui vous protège.
Ne pas être vu ou ne pas voir.
Plus loin le chemin devient celui de la folle emprise.
Un peuplier y est repère.
Populus x
hybride - croisé - mélangé - métis
Ridé comme un vieil éléphant.
Le coquelicot offre un pétale au vent
qui l'offre à la poussière du chemin.
Au cabaret russe, nous bifurquons à droite.
Le chemin devient rue bordée de portails
dorés - rouges - métal - arabesque - courbe - flèche - pointe
Marquer la limite.
s'enfermer - se replier - s'enclore
se défendre - se protéger
Une région qui vous protège.
Rester entre soi chez soi.
Nous empruntons la passerelle pour changer de monde.
désert commercial - enseignes - slogans - voitures - désirs - achats
Aucun désir ne nous retient et nous traversons jusqu'à la ville.
L'espace se resserre.
Les portes là retirées derrière leur portail affrontent ici la rue.
Que dire des trottoirs quand on aspire aux chemins?
Ils sont plus de 30 à nous attendre pour nous parler de la vue depuis leur fenêtre,
la vue sur l'ici de leur cité, les voitures, les passants, un arbre, un toboggan, le terril,
les six voisines, la pluie, des mouettes parfois, ou la vue sur l'ailleurs rêvé, la montagne, la plage,
le Maroc, une Lamborghini, Michael Jordan, une rivière de sucre, une licorne et trois voeux, …
4ème étape: de Haveluy à Bellaing
Nous étions entrés dans Haveluy par sa face sillon, tracé, ordonnée.
Nous quittons Haveluy par le terril.
Le terril dans lequel Thérèse plantait ses talons.
Le terril au pied duquel s'étend le coron de la fosse. Ici les rues portent le nom coron.
Le terril qui rougeoie encore.
Le terril sur lequel aucun gamin ne peut plus planter ses talons.
Le terril vaincu par la végétation.
La végétation qui colonise les souvenirs.
Les vestiges terrassés par les tiges.
Une armada de tiges qui transpercent les ruines et les rails d'un passé qui ne véhicule plus rien.
Haveluy se perd là dans les Cences d'en bas, sa face sauvage, chaotique, humide que les promeneurs du soir aujourd'hui apprécient.
Puis, nous traversons la D13 et entrons dans le territoire de Bellaing.
Un papillon posé sur le gravier du chemin bat des ailes sans désir d'ailleurs.
Des vaches se pressent autour du tracteur
autour duquel un fermier se presse
pour déverser l'eau dans l'abreuvoir
autour duquel les vaches se pressent,
bientôt elles changeront l'eau en lait,
mais pour l'heure, elles ont encore les genoux tâchés d'herbe
et seuls les museaux gouttent.
Notre marche finit devant les grilles de la médiathèque
derrière lesquelles est enfermé...
le vélo qui doit nous ramener à la voiture.
3ème étape: de Denain à Haveluy
Denain Nord.
Là, une rangée de maison longe le champ.
Là, ils sont 4, 5, un par maison, petits, roquets.
Là, ils sont 4, 5 qui nous saluent avec vigueur.
Là, ils sont 4, 5 dans les bras de leur maîtresse.
Elles sont 4, 5 sur le pas de leur porte.
Elles sont 4, 5 à nous regarder sans répondre à notre salut.
En bord de chemin d'Hertain, un poteau électrique est appelé "Les 3 à la ligne P0015".
La femme à barbe est privée, défense d'entrer,
si bien que ses roses doivent passer la tête à travers la haie
pour être admirées.
Un peloton de pigeons nous survole à grande vitesse,
rase le champ de patates
et ne s'écrase pas sur le bouquet d'arbres à l'horizon.
A gauche, la Centrale d'Hornaing,
à droite, le chevalement de Raismes,
nous sommes quelque part entre les deux,
ainsi qu'un pylône, un château d'eau, un terril et une vannelle inquiète.
Haveluy.
Elles sont trois.
Trois picon-bière.
Trois mères retraitées au bistrot.
Elles trinquent à elles.
Elles parlent fraise, lessive, peinture,
chalumeau, chaussettes, Covid.
Elles saluent le village qui passe.
Elles draguent le village qui passe.
Elles disent qu'il y a des gens qui sont faits pour emmerder le monde.
Elles se quittent sur trois "Bon courage, hein".
2ème étape: de Bouchain à Denain
Bouchain
La fête du pavé est annulée, dit l'affiche.
La fête est au macadam des routes et des rues.
Incessant va et vient motorisé, le bruit nous dépasse,
nous croise,
nous devance,
nous suit,
tourne, revient, crisse, gronde, vrombit,
accélère, décélère, s'arrête, reprend,
péremptoire.
Sur les trottoirs envahis des immobiles dormantes nous n'existons pas.
Nulle place pour trotter ici.
En contrebas de la départementale,
deux poneys
crinière sur les yeux
chassent les mouches
indifférentes au trafic
En contrebas de l'autoroute,
une piscine de jardin
et deux gamins en maillot de bain.
Derrière la voie ferrée,
une famille et des bières autour de la table.
Une femme lisse les cheveux d'une gamine.
A Lieu-St-Amand, une place de pierres et de murets
où des jets d'eau rafraichissent
l'absence des passants.
A lieu Saint-Amand,
la sieste s'est faite lecture et poésie.
Quitter la route,
s'enfoncer dans le silence,
entendre les blé plier sous la brise.
Il suffit parfois d'un coin
pour aller de la rue au silence.
Le long de l'Escaut, "je rêve d'y aller" d'entendre dans notre dos
puis de nous faire dépasser par un jeune Beur à vélo, short et tong,
qui nous salue et de poursuivre "tu verras, je t'enverrai un reportage,
tu verras les plaines de Mongolie, c'est magnifique… les paysages…"
et de perdre sa voix quelques coups de pédale plus loin.
Nous arrivons trop fatigués à Denain pour voir les maisons murées,
celles au bas du terrils, celles en cités, celles proprettes, celles délabrées,
celles habitées, celles poussiéreuses, celles…
1ère étape: de Wasnes-au-Bac à Bouchain
Wasnes au Bac.
Nous sommes partis par la rue des vertes rues
qui devient le chemin perdu...
Odeur de foin coupé.
Deux infirmières, habit blanc et masque,
quittent une villa et s'éloignent en noire BMW.
Hautes herbes en bord de chemin, orties et coquelicots.
Des moutons bêlent. Cris de corneilles.
Trop tard pour l'or du colza, ne reste que l'ourlet de coquelicots.
A l'horizon, la petite pointe d'un clocher, la masse noire d'une grange
et la rondelle d'une tour de refroidissement.
Nous choisissons de rejoindre le marais
où croule la foulque et quelques grenouilles.
Sous les pleurs des saules, chante le rossignol.
Le chemin se rapproche de l'étang et nous laisse aux grilles d'une propriété privée de notre passage.
Nous le rebroussons pour rejoindre, avec une alouette, le bout du marais, les mauvais prés et le canal de la Sensée.
Au milieu de l'eau, un cormoran attend.
Sur l'autre rive, un pêcheur attend.
Savent-ils ce que charrie la Sensée?
En l'écluse du Pont Malin, une péniche patiente
tandis que l'eau d'ici se déverse là-bas.
A l'entrée de Bouchain, un paon appelle Léon.
Des coqs nous saluent peut-être et le grèbe répond aux moutons.
Notre marche prend fin en terrasse.
"Un café" de commander Olivier, uniforme bleu, révolver à la ceinture.
"Après-demain, ça ira mieux", de déclarer la patronne.
"Et le 1er juillet, plus de Covit, a plus rin… que la fête.
On dansera à deux, hein Olivier?"